Le Poète et la Muse
et le lac magique de Laafeld
Il est des histoires qui imprègnent les temps et marquent les esprits. Parmi elles, voici l'histoire que les mages de Laafeld se murmurent encore entre eux et dont les méfaits hanteront pour toujours la terre de Sakushi : celle du poète Istarnil et de sa muse, et du lac magique donnant vie aux histoires qu'il contait.
Istarnil signifie poète en elfique, et c'était ainsi que se nommait le jeune elfe qui, une matinée de printemps, se présenta aux portes de l'Académie de Laafeld avec comme intention de s'améliorer dans le subtil art de la magie. Le physique du jeune elfe était des plus anodins, et sa maîtrise de la magie, fort moyenne.
Mais poète sa mère l'avait nommé et poète il était ; ainsi avait-il orné ses manuscrits, parchemins et livres de sorts de poèmes, de textes et de dessins en l'honneur des Dieux, des astres, de la Nature... et d'Aethys.
Aethys était sa muse, une délicieuse jeune femme aux longs cheveux de la couleur des étoiles, à la peau parsemée d'or et aux yeux bleus comme le lac qui se trouvait au pied de l'académie. Elle dansait plus qu'elle ne marchait, elle chantait plus qu'elle ne parlait ; et chacun de ses pas, Istarnil le dessinait.
Il l'aimait, peu importe la douleur que cela lui causait. Il disait souvent se moquer de perdre la tête, car il était déjà maudit. L'histoire nous prouva qu'il avait raison.
Car une nuit, sa muse vint à sa porte.
Elle était trempée, comme sortie du lac, et sa longue robe de d'or et d'azur lui collait au corps. Elle ne possédait plus le moindre souvenir, était venue guidée par son instinct et se tenait désormais là où jeune elfe se trouvait. Istarnil l’accueillit du mieux qu'il pouvait, l'aima et s'occupa d'elle, lui dessinant des vêtements, la parant de milles joyaux et la traitant en reine. Il lui contait des histoires et des légendes de trésors engloutis loin sous les vagues noires ; la disait reine d'un royaume disparu sous le lac, lui parlant de sa couronne, brillante comme une étoile, perdue au fond de l'étendue d'eau.
Mais pour passer le plus de temps possible avec sa muse, Istarnil avait décidé de sacrifier sa carrière magique et ses études. L'idée de la laisser seule, ne serait-ce qu'un instant, l'horrifiait. Ce ne fut que sous la menace d'exclusion qu'il accepta d'y retourner, hanté par la peur qu'il arrive quoi que ce soit à cette muse que lui seul pouvait voir.
Lors de la première heure abandonnée, la jeune femme s'occupa en chantant, assise sur la fenêtre. C'était les plus splendides notes à avoir jamais été entendues et, le vent, rendu jaloux par ces champs, lui vola ses belles mélodies qu'il emporta au loin. Alors, comme elle s'ennuyait à nouveau, promenant son regard céleste sur l'étendue d'eau qui se trouvait au pied de l'académie, les paroles du poète lui revinrent en mémoire ; toutes ses poésies, ses chants à propos de merveilleux palais engloutis, de somptueuses fêtes que l'on y faisait pour elle, à sa couronne d'étoile qui l'attendait là-bas.
Alors la muse descendit au lac à la recherche de sa mythique couronne et, dans les vagues, elle se noya.
Quand il retourna dans ses quartiers n'y vit guère sa muse, le poète paniqua. Il descendit alors au lac pour rappeler sa belle mais, devant l'absence de réponse, il fut submergé par la peur. Il chercha son trésor perdu jusqu'à ce que la nuit fut tombée, mais seul l'écho répondit à ses appels et ses pleurs.
Alors, Istarnil jura de ramener sa bien-aimée à la vie. Il s'assit à ses bureaux et écrivit, dessina, imagina pendant des jours et des nuits, dormant à peine car des cauchemars tous plus affreux les un que les autres hantaient ses songes. Il entendait sa voix, hypnotisante et lointaine, qui l'invitait à continuer.
Et finalement, il réussit.
Elle revint à sa porte, une nuit, comme la première fois, et la joie du jeune elfe fut telle qu'il ne remarqua pas la robe noire de la jeune femme, ni les deux gouffres noirs qui avaient remplacés ses beaux yeux bleus. De sa voix douce, elle apaisa le poète en le serrant contre elle puis, quand il fut calmé, elle lui tendit des feuilles et le pria d'écrire pour elle, ce que le poète accepta sans rien dire.
Une effroyable tempête se leva alors, et entoura l'académie.
Quand Istarnil s'aperçut de sa grave erreur, alors que les eaux du lac bouillonnaient déjà des ténèbres et abominations que lui et ses cauchemars avaient engendrés, il saisit sa chère muse et, sans un mot, tout deux disparurent dans les profondeurs du lac.
Les archimages de l'Académie scellèrent le lac sous une épaisse couche de glace, plongeant alors toute la région dans un hiver éternel, et jurèrent de veiller sur le mal infâme qui y avait élu domicile, fruit de la folie et des cauchemars du poète désespéré.
Que cela soit vrai ou non, qu'importe. Les mages veillent toujours sur ce lac maudit, tandis que, les nuits sans lune, on raconte qu'il est encore possible de voir les deux amants hanter la rive, le vent glacé portant encore le chant volé de la belle Aethys, muse du poète amoureux Istarnil.